Le texte qui s'amorce aujourd'hui sur la page blanche de ce blog aboutira lorsque sur cet horizon marseillais se dressera l'Avenir. Dans trois ans, à peu de jours près sans doute, ce nouveau navire de sauvetage se déploiera sur toute l'étendue de ce quai Henri Germain Delauze situé face au Mucem, le Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée.
À l'image, les nuages bas auront disparu : la coque de ce catamaran de 65 mètres de long et 21 mètres de large, son pont principal doté d'un petit amphithéâtre, son pont refuge permettant d'abriter 370 rescapés, son pont promenade flanqué de deux ailes solides de 35 mètres de hauteur occuperont tout l'espace du visible, et leur beauté vraisemblablement tout l'espace du sensible. Nous ne savons certes pas encore de quelles couleurs l'Avenir sera fait, ni comment sur la matière d'aluminium ou d'acier se découpera son nom. Nous savons cependant qu'à cette distance nous pourrons distinctement lire ce nom, dans bien des langues, et voir flotter sur l'édifice un pavillon maritime européen flamboyant. Nous savons en outre que, ce beau jour de 2024, cette esplanade du Mucem sera noire du monde que nous serons, les yeux rivés sur les écritures multiples et l'horizon embelli. Ce nous sera notamment constitué de celles et ceux qui auront porté avec détermination, malgré tous les vents mauvais et contraires, cette œuvre jusqu'à sa réalisation : artistes, architectes, designers, chercheurs, médecins, juristes, marins sauveteurs, écrivains, étudiants de plusieurs dizaines d'écoles européennes et sud-américaines d'art, de design, d'architecture, d'arts vivants, citoyennes et citoyens d'Europe devenus pour la plupart copropriétaires de ce navire mis à disposition des organisations sauvant des vies en Méditerranée.
Quelques heures avant que l'Avenir gagne la haute mer, un ou une ministre de la Culture tiendra sur cette esplanade un discours d'inauguration retentissant, aux antipodes de la culture de violence qui prévaut encore aujourd'hui lorsqu'il s'agit d'envisager ledit "problème des migrants". Ce discours magnifique aura été élaboré, agencé, formulé, expérimenté, écrit et réécrit pendant trois ans, par nous autres, à la force d'une aventure collective de création où il aura été question de matériaux comme d'imaginaires, d'équipements médicaux comme de joie, d'énergie renouvelable comme de combat. Ce blog qui s'ouvre aujourd'hui se veut la chronique de cette aventure, le livre de bord d'un navire qui dans nos têtes a déjà pour ainsi dire commencé, d'un navire qui ne peut pas ne pas advenir. Ce blog s'avère alors simultanément une étude au long cours sur l'art et la manière de bien parler de ce navire qui nous manque et que nous faisons, un travail de recherche de trois années visant à articuler, à la virgule près, ce discours d'inauguration que le ou la ministre ne pourra pas ne pas prononcer devant nous tous réunis. Ce discours parlera des origines comme des horizons, du champ de l'art dont provient ce navire de sauvetage pionnier comme de l'avenir politique qu'il contribuera à construire sur le rivage. Ce discours in extenso constituera l'ultime billet de ce blog, le énième chapitre d'un texte qui trouvera dans ces lignes précises son parachèvement.
Un nouveau journal de bord s'ouvrira ce beau jour, non plus écrit depuis l'attente et le rivage, mais depuis l'Avenir et la haute mer, à la rencontre de celles et ceux qui chercheront plus que jamais refuge parmi nous. Parce que notre avenir sera constitué de mouvements migratoires extraordinaires auxquels l'Europe ne pourra répondre autrement que par une extraordinaire politique de l'hospitalité. Dont l'Avenir sera l'un des emblèmes.
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